Durant la dernière décennie, la croissance annuelle de la Côte d’Ivoire n’a pas dépassé 1 %, en moyenne, provoquant une forte paupérisation de la société. Le retour à la stabilité, à partir de 2011, a permis à la croissance de redémarrer en flèche avec 9,8 % en 2012 et de 8,7 % en 2013. La Côte d’Ivoire est désormais dans une phase de reconstruction de ses infrastructures, peu ou mal entretenues depuis la mort de Houphouët-Boigny. En 2013, de grands projets ont été lancés. Le plus emblématique étant le troisième pont d’Abidjan, qui doit réduire la circulation dans la ville. La Côte d’Ivoire a reçu 22 milliards de dollars de promesse de financements publics et privés, lors de la conférence avec les bailleurs de fonds, fin 2012, à Paris dans le cadre du groupe consultatif organisé par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Déjà, les investissements privés ont doublé, grâce au retour de certains investisseurs étrangers, les Français bien sûr, dont c’est toujours le pré carré, mais aussi les Chinois, ou les Marocains qui font une entrée remarquée. Les investissements en provenance du Liban, eux, sont quasi absents même si on sent, côté bancaire, un début d’intérêt : la Fransabank, la Byblos Bank et la Bank Audi sont à la recherche de partenaires locaux pour se développer.
Le gouvernement ivoirien affiche de grandes ambitions. Est-il crédible ?Le gouvernement veut faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent en 2020. Je crois que nous avons les moyens d’y parvenir. Du temps de Houphouët-Boigny, on parlait d’Abidjan comme d’un “petit Paris”… Et ce n’est pas pour rien : à l’époque, notre pays était au même niveau de développement que la Corée. L’Asie depuis s’est développée grâce à ses locomotives : précisément la Corée et le Japon. Nous avons des moteurs similaires en Afrique, l’Afrique du Sud, le Nigeria et naturellement la Côte d’Ivoire. Comme acteur régional, Abidjan se positionne idéalement à la jonction d’un grand marché, en constitution : la communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest, qui regroupe 15 pays. Cette zone est en train de prendre forme, notamment grâce aux grands projets d’infrastructures régionales. Le pays a une carte à jouer.
Quel est le rôle de la communauté libanaise dans le redressement économique de la Côte d’Ivoire ?Les Libanais de Côte d’Ivoire travaillent dans presque tous les secteurs de l’économie. On estime qu’ils détiennent plus de 40 % de l’économie ivoirienne. Côté industrie, ils contrôlent notamment la métallurgie, la pétrochimie (la production de matières plastiques en particulier) ou la parfumerie. Ils sont aussi présents dans le secteur de la grande distribution, l’agroalimentaire et assurent une part non négligeable du négoce du cacao ou du café. Ils mènent aussi beaucoup de projets immobiliers. Au final, ces entreprises font travailler un demi million d’Africains dans leurs usines, leurs magasins ou même à leurs domiciles. Aujourd’hui, certains des groupes libano-ivoiriens investissent massivement pour renouveler l’appareil industriel du pays : je pense à Carré d’Or qui a fondé une minoterie d’envergure, à Eurofind qui se lance dans la bière, à la Prosuma qui inaugure de nouveaux centres commerciaux… Cumulés leurs investissements sont énormes. D’autres groupes libano-ivoiriens font le pari d’un développement régional : ils essaiment dans toute l’Afrique de l’Ouest, voire en Afrique australe ou au Maghreb.
Dans quels secteurs pourrait-on imaginer que des Libanais investissent ?Bizarrement, les Libanais de Côte d’Ivoire restent absents de nombreux secteurs tels l’enseignement, les banques, les télécommunications, ou encore l’agriculture. Autant de pistes possibles pour ceux qui souhaiteraient investir. Mais attention : rien ne sert de venir ici sans la “bonne vision” : une banque libanaise, par exemple, qui viendrait pour fonder une banque de dépôt, a peu de chances de succès, selon moi. Les banques locales fournissent tous les services qu’un résident est en droit d’attendre et je vois mal un Libanais de Côte d’Ivoire quitter un établissement, dont il est satisfait depuis des années, pour en rejoindre un nouveau, certes libanais, par “patriotisme économique”. Non, il faudrait que cette banque assure des services inédits, pour assurer par exemple les financements dont les entreprises ont besoin dans leur quête de nouveaux marchés.
Extrait du commerce du levant du 26/02/2014